Article paru dans le magazine 220 _Septembre 2022 / Rédigé par Jean-Baptiste WIROTH – PhD, Docteur en Sciences du Sport et Fondateur du réseau de coach WTS (www.wts.fr) et photos Supersapiens
Mesurer la glycémie en direct… il y a longtemps que j’en rêvais en me disant que ce serait une avancée très significative pour mieux gérer son entraînement et mieux conseiller les athlètes. À l’automne 2019, j’ai eu la surprise de trouver dans ma boîte mail un message de Bobby Julich, ancien coureur cycliste professionnel, intitulé « would you like to test Supersapiens » ?…
Bien que connaissant Bobby du temps où nous vivions à Nice tous les deux, j’ai été surpris par son message et très tenté par sa proposition. Quelques semaines plus tard, je recevais un lot de capteurs Supersapiens et j’intégrai la Supersapiens Academy pour me former à la mesure de la glycémie en direct.
Après avoir suivi plusieurs semaines de formation avec l’équipe scientifique Supersapiens, puis testé personnellement le système, j’en retire un certain nombre d’informations que je vais partager avec vous dans cet article.
Alors… Qu’est ce que Supersapiens ?
Supersapiens est une marque américaine créée par Phil Southerland, ancien coureur cycliste professionnel, diabétique de type 1 depuis son enfance. Le système comprend une application qui permet de visualiser sa glycémie en direct sur son smartphone, via un biocapteur sous-cutané fabriqué par le laboratoire pharmaceutique Abbott.
Le capteur, qui existe déjà depuis plusieurs années sous la marque Libre Sense, permet aux diabétiques de mesurer leur glycémie en direct et donc de se soigner plus efficacement. Il évite ainsi les fastidieuses mesures faites en prélevant une goutte de sang au bout du doigt.
Sur le plan pratique, le capteur doit être collé à même la peau, la mesure se faisant via un minuscule filament fin et flexible qui est inséré dans le milieu interstitiel (une fine couche de liquide entourant les cellules sous la peau). Les données de glycémie sont transmises à l’application par Bluetooth toutes les minutes. En cas d’impossibilité d’avoir son smartphone avec soi, ou bien parce qu’il est éteint (la nuit par exemple), le capteur a une autonomie d’enregistrement de 8h. Un capteur a une autonomie de 14 jours; il doit donc être changé toutes les 2 semaines.
Il est important de noter que pour des raisons de réglementation propres à chaque pays, Supersapiens n’est pour le moment disponible que dans quelques pays européens : France, Allemagne, Autriche, Irlande, Italie, Suisse, Luxembourg et Royaume-Uni. Le tarif de base est de 150 € pour 2 biocapteurs, l’appli Supersapiens et 4 patch « Performance ». Ce tarif permet 28 jours d’enregistrement.
Pourquoi mesurer la glycémie chez les sportifs ?
Maintenir un taux de glucose stable est fondamentalement important sur le plan physiologique car de nombreux organes dépendent du glucose pour fonctionner. Le cerveau est ainsi le premier consommateur de glucose au repos, et ses besoins montent à 50 g de glucose par jour. Le glucose est aussi une source d’énergie pour nos cellules, en particulier les cellules musculaires lorsqu’il faut fournir un effort intense.
La régulation de la glycémie est un mécanisme incroyablement complexe qui repose principalement sur la balance entre les apports (ce que l’on mange) et les dépenses (ce que l’on utilise). L’analyse en temps réel de la glycémie par les récepteurs cellulaires permet d’impulser un processus de stockage via la sécrétion d’insuline ou un processus de largage par le glucagon, deux hormones hypoglycémiantes sécrétées par le pancréas.
Au-delà de ce mécanisme hormonal, il faut savoir qu’il y aurait une centaine de paramètres influant sur la glycémie. Pas simple d’identifier des liens de cause à effet !
Pour les athlètes, mesurer la glycémie permet de voir l’influence des apports (la nutrition) et des dépenses (l’effort physique)… facilitant ainsi le maintien d’une glycémie stable, source d’efficacité dans la pratique sportive et de bonne santé.
Quelles informations sont données par Supersapiens ?
L’information de base donnée par le capteur est la glycémie, en mg de glucose par dL de sang. Cette donnée fluctue généralement entre 50 et 180 au gré de ce que l’on mange et de l’activité physique que l’on a. Cela peut beaucoup varier au cours de la journée, et c’est très spécifique à chaque individu. En effet, 2 athlètes qui absorbent le même repas peuvent avoir des réponses glycémiques complètement différentes !
Pour tenter de mieux comprendre ce qui se passe dans le corps, Supersapiens a développé un traitement statistique des données enregistrées, qui est composé de 4 zones distinctes :
- <70 mg/dL où la récupération est ralentie.
- 70-90 mg/dL appelé « état adaptatif »
- 91-140 mg/dL où la recharge glucidique est optimale
- > 140 mg/dL où l’état d’inflammation est latent
Ainsi, l’application Supersapiens permet de visualiser le temps passé dans chacune des 4 zones chaque jour.
En plus du temps passé dans les zones, l’application calcule la moyenne pour chaque heure, permettant d’établir la « heatmap », qui s’avère être très utile pour voir sur une longue durée quelles sont les tendances journalières.
Enfin, l’application détecte aussi les pics de glycémie (les « glucose rush »), pics qui correspondent à une hausse de plus de 10 mg/dL dans une période de 5 minutes. Plus il y a de variations soudaines à la hausse, plus cela contraint votre corps à réguler en sécrétant de l’insuline. La succession de “rushs” peut créer un état pro-inflammatoire délétère.
La stabilité du de la glycémie est aussi une information fournie par l’application. Cette stabilité reste en général entre 10 et 12 mg/dL au repos.
Quelle utilité pour les triathlètes ?
1- Au repos, le principal intérêt est de visualiser l’évolution de sa glycémie en direct en fonction de ce qui vient d’être absorbé. C’est très utile pour voir comment notre corps répond à l’absorption d’aliments glucidiques. En effet, sur le long terme, le principal risque est de multiplier les hyperglycémies supérieures à 140 mg/dL
À l’opposé, cela permet aussi de voir quand on se retrouve en hypoglycémie, que ce soit des hypo classique (parce qu’on est à jeun depuis plusieurs heures) ou parce que l’on fait une hypo réactionnelle en réponse à une consommation de glucides trop soudaine et/ou importante (charge glycolique trop forte).
2- À l’effort, l’intérêt est de pouvoir visualiser l’hypoglycémie s’installer au fur et à mesure que l’exercice se prolonge. En connectant l’application à Garmin Connect, il est possible de corréler les données d’entraînement avec les données de glycémie. Ce qui permet de mieux comprendre ce qui se passe à l’effort. Ce dernier usage est plus complexe, car la glycémie à l’effort augmente naturellement du fait de l’augmentation des besoins musculaires. De plus, une multitude de paramètres peuvent influer sur la glycémie comme la durée, l’intensité, les conditions environnementales (froid, chaud), et bien sûr ce qui est consommé pendant l’effort. À ce jour, quelques modèles de GPS Garmin (mais pas tous) permettent d’avoir les données de glycémie affichées sur la montre ou le compteur. C’est un vrai plus pour adapter son comportement alimentaire pendant l’entraînement ou en course.
Mon expérience personnelle
Après plusieurs mois d’utilisation, j’ai pu constater que ma glycémie avait tendance à monter en flèche au-delà des 140 mg/dL à l’issue de mon petit déjeuner classique. Pourtant, celui-ci me semblait assez sain puisque constitué d’un fruit, de 3 ou 4 galettes de riz complet recouvertes de beurre ou de purée de cacahuète et d’un thé. Pour corriger cela, j’ai supprimé le fruit ou j’essaye de fractionner mon petit déjeuner en deux pour étaler la charge glycémique dans le temps. Bien sûr, je pourrais opter pour un petit déjeuner “low carb” à base d’avocats, d’amandes, de sardines à l’huile ou d’oeufs au plat… mais je n’ai pas encore franchi le cap.
J’ai aussi remarqué que mon niveau de stress pouvait augmenter l’ampleur des pics hyperglycémiques. Ce prénomène est logique : plus le stress psychique est élevé, plus la sécrétion de cortisol est importante (hormone du stress), ce qui engendre une mobilisation accrue des réserves de glucose pour faire face au stress. Dans ces moments là, attention aux prises de sucre pour se calmer, les effets sur votre corps sont invisibles mais assez délétères sur le long terme.
À l’effort, c’est plus compliqué de tirer des conclusions car je n’ai vraiment pu tester différents types d’alimentation pour un effort donné. C’est la prochaine étape !
Conclusion
Même si mesurer la glycémie en direct est une avancée majeure, il faut bien constater que cela génère beaucoup de data ! En effet, avec Supersapiens, on ne se cantonne plus à mesurer la fréquence cardiaque ou la puissance pendant la durée de la séance, on mesure 24h/24… or « trop de data tue la data ». Cela peut avoir tendance à noyer le pratiquant dans un flot de données tellement important qu’il n’arrive plus à en trier des informations pertinentes et surtout utiles.
Vu le temps que j’ai pu consacrer à ce test, je dirais que Supersapiens sera très utiles aux quatre catégories d’athlètes suivantes :
- Les athlètes diabétiques de type 1 ou 2.
- Les athlètes en quête de performance qui veulent comprendre comment fonctionne leur métabolisme à l’effort, et optimiser leur récupération “énergétique” entre les séances.
- Les athlètes qui ont du mal à perdre de la masse grasse. L‘outil peut permettre de détecter des comportements nutritionnels “inappropriés” et surtout de voir comment leur organisme réagi en fonction de tel ou tel type d’aliment, ou en fonction des évènements du quotidien.
- Les athlètes qui s’intéressent à la nutrition et qui veulent mieux comprendre les interactions nutrition / exercice / glycémie.
Alors certes, à 150 € l’abonnement mensuel, le tarif peut en rebuter certains, mais Supersapiens est une véritable “fenêtre sur votre corps” qui peut être assez utile pour mieux visualiser ce qui se passe lorsque vous absorbez un repas. Un outil pédagogique très utile selon moi pour qui s’intéresse à sa physiologie et à sa nutrition.
Glossaire
Glycémie : taux de glucose dans le sang.
Index glycémique : certains sportifs présentent une forme d’intolérance aux sucres rapides, qui les rend sujets à des variations de glycémie pendant l’effort. L’hyperinsulinisme est souvent la cause de ce problème. Dans le cas présent, il ne faut pas hésiter à recourir à des aliments beaucoup plus simples (eau, fruits, petits sandwichs au jambon…) pour éviter les baisses de
régimes.
Cortisol : hormone hyperglycémiante sécrétée par les glandes surrénales pour faire face aux situations de stress.
Références
A Comprehensive Review of Continuous Glucose Monitoring Accuracy during Exercise Periods. E. Munoz Fabra et al., Sensors (Basel). 2021 Jan 12;21(2):479.
Concurrent Validity of a Continuous Glucose-Monitoring System at Rest and During and Following a High-Intensity Interval Training Session. P. Clavel et al., Int J Sports Physiol Perform. 2022 Apr 1;17(4):627-633.