Article paru dans le magazine 207 _juillet 2021 / Rédigé par Simon Billeau
Nager en eau libre avec des compétiteurs autour de soi fait partie intégrante d’un triathlon. Le départ d’un triathlon est sûrement le moment le plus attendu des spectateurs. C’est aussi sûrement le moment le plus redouté par bon nombre d’entre nous, inquiets voire apeurés. Il est facile de comprendre pourquoi. Entre les contraintes anatomiques liées au port de la combinaison, le peu ou l’absence de visibilité du site où l’on nage, la température de l’eau généralement fraîche ou froide ou encore le manque de place entre compétiteurs, il est facile de se laisser envahir par des pensées négatives. Cependant, il est possible de vaincre ses peurs par des stratégies intelligentes, une bonne technique et des entraînements spécifiques. Nous allons donc vous décrire quelques astuces pour “dédramatiser” la partie natation d’un triathlon en se focalisant sur ces 3 critères.
La 1ère des choses à faire est d’abord de reconnaître que l’on est sujet à des peurs, paniques ou anxiété avec la partie natation. Le cerveau et notre esprit sont très puissants pour nous convaincre que la partie qui s’annonce est impossible à boucler voire dangereuse. Parfois, le simple fait de voir la distance entre les bouées nous donne une fausse impression. Or, cette distance perçue prend le dessus dans notre cerveau et ce malgré le fait de savoir que la distance réelle est à quelques mètres près la distance officielle réglementaire. On se demande également si l’on est capable de nager la distance requise. Certains s’inquiètent du regard de l’autre si l’on sort à l’arrière du pack ou dernier de l’eau. On s’interroge si le clapot ou les vagues seront infranchissables, ou si un gros poisson voire un requin va venir nous attaquer…
En bons triathlètes et adeptes de nos cahiers d’entraînement papiers ou digitaux que nous sommes, il suffit de se replonger dans sa préparation et de se remémorer les séances d’une distance égale ou supérieure à la distance à réaliser le jour J. Ensuite, il faut balayer d’un revers de main les peurs irrationnelles comme une attaque de requin dans le plan d’eau du Lac de Saint-Cyr ou dans la Baie du Mont St-Michel… Enfin, la perception que l’on se fait du regard d’autrui est une affaire personnelle et est basée sur l’estime de soi. Mais retenez plutôt que les spectateurs sont là pour soutenir les compétiteurs et non pas pour les juger. Par ailleurs, avec la multitude d’épreuves ayant des départs en “rolling start”, il est quasi-impossible pour les spectateurs de savoir où est le dernier d’une vague et le premier d’une autre car il y a un flux constant d’athlètes sortant de la partie natation.
« Travailler d’abord les fondamentaux techniques de la natation (…) maîtriser sa respiration, c’est la clé. »
Pour surmonter la 1ère épreuve d’un triathlon, il vous faut travailler votre natation et ses fondamentaux : une position allongée rectiligne, un coude haut durant la traction, un battement constant et propulsif, une respiration adéquate (souffler dans l’eau) et le(s) rythme(s) de course. Si vous ne pouvez pas vous rendre aussi souvent que vous le souhaitez à la piscine du fait de votre emploi du temps, vous pouvez travailler à sec à votre domicile avec des élastiques (lire notre dossier dans le n°205) ou un ergomètre de natation. Ces appareils vous permettent de travailler votre endurance et la force des muscles propulseurs.
La respiration est le plus souvent l’obstacle le plus imposant à surmonter. Entre un départ en fanfare ou une bouée surpeuplée à franchir, maîtriser sa respiration est de loin la clé. Ainsi, l’échauffement joue un rôle crucial. Comme dans le cas du système cardiovasculaire, l’échauffement permet au système respiratoire d’atteindre progressivement un fonctionnement optimal. L’échauffement, en augmentant les rythmes cardiaque et respiratoire avant le début de l’exercice, permet de limiter la dette d’oxygène. Il permet également de s’acclimater au milieu. Si l’eau est froide, une vasoconstrition s’opère et la respiration se raccourcit et s’accélère. Durant l’épreuve natatoire en elle-même, il est parfois préférable d’augmenter légèrement le roulis de façon à ce que la bouche soit plus haute que si on la gardait dans le prolongement de notre propre vague. Il est évidemment judicieux de travailler ce surcroît de roulis à l’entraînement pour contrôler et maîtriser au mieux cette technique particulière aux natations avec clapot.
« Mentalement, une stratégie efficace consiste à “oublier” la distance totale et à se concentrer plutôt sur des sections. »
En natation comme en cyclisme ou en course à pied, les distances globales à effectuer peuvent présenter des challenges personnels. Mentalement, une stratégie efficace consiste à “oublier” la distance totale et à se concentrer sur des sections de celles-ci. Par exemple en natation, plutôt que de penser aux 3 800 m à effectuer dans le cas d’un Ironman, il est plus facile de visualiser la prochaine bouée à rejoindre. Conter ses coups de bras peut également s’avérer être une aide précieuse, surtout si vous commencez à paniquer parce qu’un autre concurrent vous a touché, ou que vous avez effleuré une algue ou un poisson. Dans ce cas, compter jusqu’à 10 ou 20 coups de bras en focalisant votre attention sur la respiration. Seulement lorsque vous avez atteint 10 ou 20, vous pouvez vous accorder de vous tourner sur le dos si cet épisode stressant ne s’est pas dissipé. Si vous vous sentez sensiblement mieux, répétez ce cycle de 10 ou 20 coups de bras et analysez votre état à nouveau.
Se tourner sur le dos dans le cas d’une panique soudaine peut être salvateur. En effet, être sur le dos permet d’avoir le nez et la boucle tournés vers le ciel. C’est la position “ultime” pour se calmer. Garder un peu de battement dans cette position pour être le plus possible à la surface et n’oubliez pas que vous êtes dans un espace ouvert au contraire d’une piscine. Une vague ou du clapot peuvent rendre cette position moins confortable. Il faut évidemment se donner les chances de reprendre son plan de marche et cela peut passer par quelques cycles de brasse en gardant la tête hors de l’eau. L’important c’est d’avancer ! On ne peut que vous inciter à pratiquer cet éducatif à l’entraînement dans l’environnement “contrôlé” d’une piscine. Basculer d’une position ventrale à une position dorsale, et ainsi de suite tout en continuant à avancer. La tête et le mouvement de balancier des bras amorçant la rotation.
La visibilité en milieu ouvert est souvent moins bonne que dans votre piscine locale. Même si parfois, on peut avoir la chance de nager dans des eaux turquoises, il manque toujours le repère de la ligne de fond. Ainsi, un autre exercice à réaliser à l’entraînement est de nager avec les yeux fermés lorsque la tête est immergée et de les ouvrir lors de la respiration. Cela permet de voir si l’on nage droit et habitue à ces cycles d’obscurité séquentiels.
Enfin, un dernier éducatif utile pour travailler l’orientation en milieu naturel est de nager avec la tête hors de l’eau comme en water polo ou plus efficacement de lever seulement les yeux au-dessus de la ligne d’eau afin de jeter un œil vers l’avant tous les 2 cycles de bras. Si vous suivez un autre triathlète durant la partie natation, gardez à l’esprit qu’il peut se tromper de parcours.
« Laissez votre ego à la maison. Prenez le temps (…) inutile d’aller nager au large. »
Certains d’entre nous ont réellement vécu une expérience traumatisante dans l’élément aquatique, que ce soit dans un triathlon ou non. Lorsque la peur est ancrée dans notre système nerveux, il est difficile de s’en débarrasser. Il n’est pas inutile de demander de l’aide à des spécialistes comme un sophrologue ou des spécialistes de l’hypnose. Quelque soit l’intensité de ce traumatisme, il est de bon escient de se familiariser graduellement avec l’élément liquide. L’un des meilleurs choix à faire est de s’entourer d’un coach en natation qui vous guidera vers un retour progressif. Évidemment, commencer dans une ligne d’un niveau plus bas que le vôtre avec des outils augmentant votre flottaison ou propulsion, comme un pull-buoy ou des palmes, peut vous aider à canaliser votre peur par un retour physiquement moins exigeant.
Laissez votre égo à la maison. Il n’y a aucune honte à démarrer dans la ligne la plus lente ou simplement être un nageur débutant ou moyen. Dans l’océan, passez le point de rupture des vagues et laissez-vous porter par la houle. Prenez le temps de vous sentir à l’aise avant de commencer à nager. Dans le même registre d’idées, il est inutile d’aller nager au large. Il suffit d’avoir 80 cm d’eau pour pouvoir nager. Cela permet de voir le fond et de pouvoir remettre un pied au sol si nécessaire. Nager avec un partenaire aide également à garder son calme. Il est important durant un triathlon de se montrer confiant quand bien même le stress du départ est présent.
« S’entraîner au départ, passer des bouées, nager en groupe serré… Pratiquer à l’entraînement des séances spécifiques en eau libre est essentiel.»
Il en va de même avec la technique de nage. Durant la partie natation, il est aisé de se laisser envahir par la peur et de tenter de s’extirper d’une situation stressante en fuyant un pack par les côtés. La distance va s’en trouver drastiquement augmentée. Au lieu de cela, il est nécessaire de tenter de conserver votre “territoire” en montrant de manière ferme que vous ne changerez pas de ligne. On peut être ferme sans forcément augmenter le rythme de nage. Il suffit de se faire comprendre quand un compétiteur se fait trop proche par un coup de bras ou un battement “sûr”. Pour ce faire, il faut s’assurer de garder une distance de cycle optimale sans raccourcir votre entrée dans l’eau de la main.
Gardez à l’esprit également que se montrer “confiant” ne signifie pas qu’il faut être agressif ou violent. Attraper les chevilles ou se propulser en profitant des épaules d’un autre nageur est un acte anti-sportif qui peut résulter d’une disqualification comme on l’a vu récemment pour Alistair Brownlee à l’épreuve qualificative pour les JO de Tokyo.
On ne répètera jamais assez que pratiquer à l’entraînement des séances spécifiques est essentiel. Ainsi, les séances clés en natation sont bien celles qui se déroulent en milieu extérieur. Entraînez-vous aux départs, à passer des bouées avec du trafic, à nager en groupe serré. Cela vous permet également de connaître votre rythme et d’établir une stratégie de course. Plus spécifiquement pour la natation, il est judicieux de visualiser le parcours, de connaître les couleurs des différentes bouées, si possible de prendre des repères spatiaux comme des immeubles ou des arbres remarquables pour vous orienter.
Le départ étant l’un des moments les plus stressants, il est de votre intérêt de vous placer sur la ligne de départ en fonction de votre niveau. En connaissant le parcours, vous pouvez par exemple judicieusement vous placer sur l’un des côtés du départ. Pour éviter le trafic à la 1ère bouée, sachez si l’on garde la bouée sur la droite ou la gauche et placez-vous du côté opposé au départ. Concrètement, s’il faut contourner la 1ère bouée en la gardant sur la droite, placez-vous sur la gauche sur la ligne de départ. De cette façon, certes vous nagerez peut-être 10 ou 15 m de plus, mais vous éviterez d’être au milieu de la “bagarre”… Se sentir confortable et pouvoir nager à son propre rythme est souvent plus efficient que de choisir la distance la plus courte mais en étant restreint par la proximité immédiate d’autres nageurs. Retenez qu’une course ne se gagne jamais en natation mais qu’elle peut se perdre, alors gardez raison et partez à votre propre rythme. Vous serez surpris du nombre de nageurs que vous doublerez ensuite quand vous aurez fini votre départ “mesuré”.