Article paru dans le magazine 222 _Novembre 2022 / Rédigé par Simon Billeau
Le “triathlon 2.0” (ou nouveau triathlon depuis 2020 et le Covid) semble être dans une dynamique inarrêtable. Les derniers championnats du monde Ironman à Hawaï nous ont éclaboussés de toute leur grandeur et les rookies ont montré de quoi ils sont capables. Autrefois, lorsque j’étais sur les bancs de l’Université à la faculté des sciences du sport, on n’envisageait pas de faire courir plus de 2 voire 3 full distance par an aux athlètes, du fait des limites (supposées) humaines. Tout cela a bien changé ces dernières années, et l’on voit de plus en plus d’athlètes élites réaliser à présent 1 à 2 full distance par… mois. Phénomène rendu notamment possible par une gestion intelligente et planifiée de ce que l’on nomme “pic de forme”.
Les athlètes norvégiens, avec Kristian Blummenfelt capable d’enchainer le championnat du monde à St-George début mai par une victoire, le projet sub7 moins d’un moins après et finir second sur une manche de coupe du monde WTCS sur format sprint à Bergen durant l’été, et Gustav Iden, vainqueur de Kona, en lice pour un triplé historique avec le championnat du monde 70.3 fin octobre et sur une manche de coupe du monde une semaine après aux Bermudes, nous montrent que les grands écarts ne sont pas impossibles. Ils sont le fruit d’une préparation méticuleuse et d’une approche scientifique jusque dans les derniers détails.
Quand bien même, nous sommes seulement en novembre, il est temps de se pencher sur la saison 2023 en s’intéressant notamment sur les courses majeures que vous souhaitez réaliser. À partir de ces compétitions phares, vous pourrez planifier votre saison et tenter d’arriver sur ces événements en ayant atteint votre pic de forme.
Ce mois-ci, nous allons donc vous dévoiler quels sont les grands principes de l’entraînement afin de vous amener à votre pic de forme. D’ailleurs, nous vous détaillerons aussi combien de pics de forme sont possibles en une saison et quels sont les signaux avant-coureurs d’une amélioration de votre capacité de performance… ou d’un surentraînement.
L’objectif fondamental de la planification du cycle annuel d’un triathlète est de parvenir au bon moment aux meilleurs résultats. Cette période correspond à la survenue de la forme sportive. Celle-ci est l’aboutissement de tout un processus de préparation.
« Les athlètes ne ciblent pas plus de 2 à 3 pics de forme par saison. »
D’après L.P. MATVEIEV (1965), le développement de cette forme sportive s’opère en 3 phases : acquisition, stabilisation puis perte momentanée. L’aboutissement à cette forme sportive est définie par plusieurs facteurs et régie par de nombreux principes, ce qui impose une certaine forme d’organisation et de planification afin de gérer de la façon la plus efficace le processus d’entraînement et aboutir aux meilleurs résultats.
Durant une saison de triathlon, on peut scinder une année en période ayant des objectifs biomécaniques, physiologiques et psychologiques différents.
Schématiquement, on recense 4 périodes avant le jour J :
- la période de préparation générale
- la période de préparation spécifique
- la période d’affûtage ou pré-compétitive
- la période de compétition
Préparation générale
Durant la période de préparation générale, il est crucial de déterminer quelle(s) course(s) vous souhaitez réaliser. Autrefois, le pic de forme était défini comme l’atteinte d’un niveau de performance maximal durant une fenêtre temporelle courte. Aujourd’hui, les méthodes d’entraînement se sont rationalisées et les périodes de compétition se sont allongées. Mais il semble que les athlètes ne ciblent pas plus de 2 à 3 pics de forme par saison. Ainsi, vous pouvez opter pour un objectif unique ou une série de courses sur lesquelles vous souhaitez enchainer à votre meilleur niveau.
Avec des courses dans les deux hémisphères, le choix est aisé. Cependant, il faut veiller à respecter des impératifs (budget consacré au sport, inscription, logistique, matériel, contraintes familiales et professionnelles, vie sociale…) et choisir une course ou des courses qui vous permettront de pouvoir gérer tous les aspects de votre vie en équilibre harmonieux.
Le choix de la (des) course(s) doit également se faire en fonction de vos ambitions et de vos forces et faiblesses. Si vous souhaitez vous qualifier pour la “Mecque” du triathlon à Hawaï et que vous êtes un nageur moyen, il vaut mieux éviter une destination où la natation se déroule sans combinaison néoprène. Si vous êtes un bon grimpeur en vélo, d’autres courses offrent des dénivelés intéressants.
Ensuite, il faut choisir une stratégie pour votre planning. Vous pouvez soit prendre les services d’un coach qui vous donnera des plans d’entraînement individualisés, soit vous pouvez télécharger un plan d’entraînement gratuit sur le web, soit vous pouvez vous-même suivre votre plan en suivant ces quelques lignes.
S’offrir les services d’un coach est sûrement la meilleure option, mais c’est évidemment la plus onéreuse. Ensuite, suivre un plan tout fait peut s’avérer contre-productif car il ne tient pas compte de vos contraintes et capacités personnelles. Enfin, s’entraîner par soi-même n’est pas donné à chacun. Il faut veiller à ne pas se lasser du fait du manque de soutien et de recul. Quoi qu’il en soit, comprendre une planification d’entraînement ne peut faire de mal à personne.
Pendant la préparation physique générale, il convient de stimuler au maximum le système aérobie autant que faire se peut. Le niveau de performance est lié à la solidité des fondations de votre pyramide, avec le système aérobie comme le 1er niveau.
Plus votre capacité à utiliser les graisses comme substrat énergétique est efficace, plus votre système aérobie est performant. Les graisses étant presque en quantité illimitée dans l’organisme (pour des efforts de plusieurs heures à intensités basses et/ou modérées), l’intérêt de la lipolyse dans l’entraînement pour un triathlon longue distance a trouvé un écho encore plus grand qu’autrefois chez les athlètes de la nouvelle génération et ceux de l’ancienne qui essaient de ne pas tomber aux oubliettes.
Les ions lactates, autrefois considérés comme un poison dans le cycle de production d’énergie lorsque l’oxygène manque, sont aujourd’hui regardés sous un tout autre angle bien plus vertueux. Cependant, nous ne nous attacherons pas à décrire ici leurs fonctions bénéfiques dans la performance, mais plutôt de mentionner la lactatémie comme un outil très précieux, du moins très prisé pour déterminer les zones et allures d’entraînement.
Encore faut-il savoir ce que les mesures veulent dire et comment les interpréter… Dans la phase de préparation physique générale, il convient également de travailler ses qualités de vitesse, d’explosivité et de souplesse, que cela soit sous forme d’activités spécifiques ou via des sports aussi divers et variés que vous avez l’opportunité de faire, et ce jusqu’à environ 4 mois de la première échéance de la saison.
Cependant, attention aux blessures lors de ces activités. Nos corps sont habitués à faire des actions motrices répétitives et la performance dans notre sport dépend notamment de l’efficience à laquelle on les effectue. Mais lors d’un sprint ou d’un changement de direction dans le cas d’un sport collectif, nos patrons de locomotion automatiques sont mis à rude épreuve. Et rien n’est pire que de commencer une préparation avec une fracture ou une entorse.
Préparation physique spécifique
Une fois votre préparation physique générale achevée, c’est-à-dire environ 2 mois avant votre période de compétition, il vous faut entamer votre préparation physique spécifique. Comme son nom l’indique, il faut tenter de s’entraîner à des allures et des durées proches de celles rencontrées (ou espérées) en compétition.
Il faut donc inclure des séances au seuil anaérobie et se rapprocher, voire dépasser, les distances d’un Ironman. Évidemment, il est inutile de le faire à chaque séance, mais il est important de reproduire les contraintes physiques que vous aurez à affronter. Si vous pouvez d’ailleurs vous entraîner sur un terrain similaire en termes de dénivelé, à des températures et humidité équivalentes, c’est un avantage indéniable.
« Pour mesurer vos progrès, il est recommandé de faire des tests. L’important est d’observer une progression. (…) Idéalement, le faire toutes les 6 semaines, voire une fois par mois.»
Chaque discipline a des allures cibles différentes et des paramètres physiologiques qui lui sont propres. Par exemple, en natation et en course à pied, les meilleurs triathlètes maintiennent des fréquences cardiaques bien plus élevées qu’en cyclisme. Ainsi, il faut s’entraîner avec les bons outils. En natation, il semble que le temps au 100 m (déterminé par des tests de 1500 ou 2000 m) soit un bon repère auquel le nombre de coups de bras par 50 m peut être optimisé.
En cyclisme, la puissance est l’outil primordial à privilégier et notamment en position aérodynamique. Cela veut dire qu’il faut travailler cette position à l’entraînement et lors des tests de détermination des zones d’entraînement. Le passage en soufflerie et/ou chez un spécialiste de positionnement peut aider à améliorer drastiquement le développement de la puissance, le confort et donc la longévité. Si votre course phare est un triathlon distance olympique, il convient de travailler également au développement de votre VO2max.
Pour mesurer vos progrès, il est de bon ton de faire des tests. Cela peut être un test FTP en cyclisme, que vous pouvez faire soit sur votre home-trainer, soit sur route. L’important est d’observer une progression. Si votre test révèle une diminution de votre FTP, cela peut provenir d’un état de surentraînement ou de maladie. Par ailleurs, comme votre niveau de performance varie, réaliser ce test permet de réajuster vos allures. Idéalement, le faire toutes les 6 semaines, voire une fois par mois. Un autre test intéressant, notamment pour toutes celles et ceux qui n’ont pas de capteur de puissance mais qui ont une ceinture de fréquence cardiaque, c’est de faire un 5 km sur piste si votre allure est proche de 5:00/km ou un 10 km si votre allure est en dessous de 3:30/km. Votre fréquence cardiaque moyenne vous donnera une estimation de votre fréquence cardiaque au seuil anaérobie.
La période de préparation physique spécifique est également opportune pour ajuster vos allures en fonction des conditions rencontrées sur le site de compétition. Si vous avez l’opportunité de vous rendre sur le lieu de compétition pour un stage, c’est l’occasion rêvée pour tester votre nutrition en condition de course. Si la destination est lointaine et/ou vos congés sont limités, l’application Fulgaz est selon moi meilleure que Zwift pour vous entraîner spécifiquement sur un parcours d’une course avec des images réelles.
Si les conditions météos sont similaires, vous pouvez également ajouter l’un des paramètres les plus importants dans la performance qu’est la température corporelle interne grâce au capteur Core. Plus vous utiliserez cet outil et corrélerez votre température interne, la température ambiante, votre allure de course et votre glycémie grâce à l’application Supersapiens, plus vous pourrez ajuster votre stratégie et supplémenter votre organisme en glucides essentiels pour la performance de longue durée.
L’un des outils également pour mesurer efficacement quels mix de substrats énergétiques entre en jeu à des intensités données est l’analyseur de lactatémie. Cependant, sans application disponible à ce jour sur le marché (l’entraîneur des Norvégiens a déjà réalisé une application privée pour ses athlètes, reste à voir si elle sera commercialisée massivement d’ici quelques temps), je recommande de laisser ce nouvel outil de côté et de se focaliser sur des notions et des données que l’on maîtrise. N’oubliez pas que l’important, ce n’est pas de faire et de remplir de jolis cahiers d’entraînement, mais de franchir cette ligne d’arrivée et de s’épanouir.
Période d’affûtage ou pré-compétitive
À quelques semaines de la période de compétition (environ 4 a 2 semaines avant le jour J ou la 1ère des compétitions), il faut commencer à lever le pied sur le volume pour s’assurer que le corps et l’esprit récupèrent et puissent s’exprimer à 100% de leur potentiel le jour J. Pour ce faire, en général, on garde une intensité proche de celle de la compétition, mais on réduit le volume. Ainsi, la charge d’entraînement diminue.
Durant cette période, il y a évidemment le déplacement sur le lieu de compétition, l’acclimatation aux conditions locales et au possible décalage horaire. Si vous le pouvez, essayez de vous y rendre aussi longtemps que possible avant le jour J. Sinon, retenez cette règle. Il faut 1 journée pour récupérer d’une heure de décalage horaire.
Période de compétition
Pour ce qui est de la période de compétition, l’important est avant tout d’avoir un plan et de s’y tenir. Cela veut aussi dire qu’il faut avoir un plan avec des solutions pour toutes les potentielles mésaventures qu’il peut vous arriver. Durant cette période, l’important est de récupérer au maximum.
Enfin, gardez à l’esprit que des principes régissent l’entraînement en endurance comme la progressivité, la spécificité des adaptations et que l’articulation des séances à l’intérieur d’un microcycle (souvent de 7 jours pour des raisons de simplicité avec une semaine) doivent tenir compte des durées d’adaptation de l’organisme à ces stimuli. Pour une séance exhaustive au seuil anaérobie, il faut 72 h à l’organisme pour récupérer totalement. Mais en sollicitant la filière anaérobie alactique dans les heures qui suivent, notamment par des sprints courts, le temps de récupération peut être réduit à 48 h.
Tout cela ne s’apprend pas forcément sur les blogs, mais dans des manuels d’entraînement de personnes diplômées ayant acquis l’expérience lors de formations universitaires et/ou fédérales. Il faut donc avoir foi dans la planification réalisée par un coach ou s’attendre à faire des essais et erreurs, afin d’apprendre de ces erreurs. Le travail d’apprentissage se poursuit d’ailleurs jusqu’à notre dernier souffle.