« Salut les Nines,
il y a eu un jour pas tout à fait comme les autres ce 15 août… Parce que c’était ferié. Et qui dit jour ferié dit « jour de course »… Et qui dit « jour de course » dit… Non… Ne dit rien…
Rien, mais alors rien du tout Nine… parce que celui-ci de jour ferrié, et bah.. c’est pas une course comme les autres qui s’y déroule… Ce jour là, c’est EMBRUN…
5h59’59 » du matin. La planète terre s’arrête de tourner. Le monde du triathlon retient son souffle. 4000 spectateurs sont silencieux sur la digue pendant cette dernière seconde… Tu as 816 heures d’entrainement au compteur qui défilent devant tes yeux en une fraction de seconde. C’est maintenant que tout ce travail va s’achever… PAN. Non.. C’est pas l’ouverture de la battue. C’est le départ du 34ème Embruman.
Cette natation dans la nuit procure autant de spectacle aux spectateurs qu’à nous même… une sorte de schizophrénie s’empare de nous: on est spectateur de notre propre spectacle… Spectateur immergé de cette digue submergée de supporters d’insomniaques. C’est magique. J’apprécie le moment.
Une natation correcte où je suis resté concentré me permet de sortir de l’eau avec Vistica & Del Corral. Notre groupe de cailloux ascendant enclumes sort avec un peu plus de 5 minutes de retard sur la tête. Qu’importe, je suis avec les favoris… C’est maintenant que ça se joue. Il reste 230km de course…
À la sortie de l’eau, cette montée est magique… J’apprécie le moment.
J’ai mes Nines venus en nombre qui m’attendent haut parleur à la main au milieu de ce public. On se croirait sur le tour… C’est phénoménal.
Puis on tourne à gauche, et là… C’est plus pareil. La course commence. Fini les spectateurs, exit les mégaphones. On est seul entre nous à se faire la guerre. Et je suis le premier à relever le pied me contentant d’un tempo à 360-375watts. Il reste 229km… Je ne suis pas joueur. Et apparement eux… le sont beaucoup. Ils s’en vont loin. Très loin… Et vite… Très vite.
Je me retrouve seul… C’est loin derrière, c’est loin devant… On a fait 15kilomètres… Et je me dis « Ma Nine… tu pars pour un looooong moment de solitude ». La descente technique permet d’apprécier les premiers rayons de soleil de cette longue journée…
Des rayons de soleil qui viennent te bouleverser le champs de vision en sortie de virage, qui te permettent donc grand nombre de suspens où tu manques de t’en mettre une à chaque virage en sortant au raz du raz. Qu’importe, les freinages sont minimalistes, j’ai pas l’temps de niaiser…
Au 40ème kilomètre, me voilà de retour à la civilisation… Ces supporters que l’on a abandonné 40 kilomètres plus tôt sont tous là… Et à nouveau… Tu profites comme jamais de l’instant magique qui s’offre à toi. Tu en as presque des frissons… Tu as une foule de chaque côté de la route, c’est énormissime… Puis à nouveau, tu tournes à gauche… Et là… C’est plus pareil… La course recommence… Fini les spectateurs, exit les mégaphones… Je suis face à moi-même à me faire la guerre… C’est loin devant et loin derrière.
Un peu avant l’izoard j’aperçois un type qui me revient petit à petit dessus.. C’est Jean-Eude Démaret… Il m’accompagne jusqu’à l’izoard… Puis s’en va… Dans l’ascension son allure irrégulière le mène à la faute… Je reviens dessus et j’en profite pour m’en débarrasser aussitôt. Je bascule seul. C’est loin devant… et de nouveau loin derrière.
La descente de l’izoard est rapide… ça descend à 90kmh. J’ai le cerveau enclenché sur le mode « COURSE »… Pour des questions de fiabilité et de confiance, j’ai l’ABS et l’anti-patinage déconnectés… C’est dire si je suis chaud…
Puis tu apprécies la partie de ‘transition’ sur le parcours parce que tu sais que la prochaine échéance c’est le mur de Champsella…
On y est… il est là ! le voilà qu’il se dresse face à moi. J’ai mon troupeau de Nines, mégaphone à la main qui me hurle dessus… Je les entends, je cherche la voix du coach qui me dit de monter moins fort pour visser au sommet… Je tourne les cannes, je me sens bien… L’instant est magique. J’apprécie le moment. (vidéo en fin de news)
Me voilà à Embrun… On est au 180ème, il reste 5km de montée… La côte permettant de remonter au village puis l’enfer final : le Chalvet. Je ne me fie qu’à mes watts et ma cadence… Je reste concentré jusqu’au sommet sur ce que j’ai à faire… Depuis le 80ème je suis seul… Je n’ai pas débranché, et ça ne va commencer maintenant… le Sommet pointe son nez… Dans la dernière descente, le cerveau passe du mode course au mode… OFF. C’est dangereux, ça va vite, mais c’est sensationnel.
Je rentre au parc en 9ème position… après 6 heures en selle…
À T2, je prends mon temps pour souffler un coup en me changeant pour le marathon… On enfile un haut sec, une paire de manchon, une ceinture avec des gels… Et c’est parti… L’objectif est de passer le marathon en 3h15-20… pas au delà… sinon le top10 s’en va pour moi…
Je pars sur des bases élevées pour rentrer sur les 7&8èmes hommes que je vois devant moi… je passe 8ème, puis 9ème, puis 8ème, puis 9ème, puis re-8ème…
Partir à 15 à l’heure, c’était une mauvaise idée… je paye l’effort, je plafonne à 13… Mais je repasse 8ème…
Place que je garderais jusqu’à la ligne grâce à mon acolyte du jour… Un barbu…. Je me le suis récupéré à la fin de mon tour, lui sortant du parc à vélo : il est légèrement moins entamé que moi… Et on s’aide à tour de rôle en s’empreignant du rythme de l’autre…
Au km37 je trébuche dans la partie en terre, il me relève, on repart ensemble à 14 à l’heure jusqu’à la finishline… Cet homme c’est le dossard 127… Cet homme c’est un type sympa comme pas permis… On se check avant l’aire d’arrivée… Lui repart pour un tour, j’abandonne ce compagnon à poil long… « bonne fin de course, Christophe ». et à ce moment c’est le bonheur… C’est ce bonheur que j’étais venu cherché… je l’ai trouvé… Celui de l’accomplissement… Le bonheur il est là. A cet instant. Ni avant, ni après.… Tu n’as plus qu’à partager ce moment… C’est magique j’apprécie le moment… Je fais durer le plaisir, en jouant avec le public…
Je franchi à la 8ème place la ligne de cet IRONMAN mythique qu’est EMBRUN… Puis une fois la ligne passée, le cerveau réenclenche le fusible douleur… Tout s’arrête : les jambes me lâchent puis les nerfs lâchent… Puis C’est terminé.
C’était magique. J’ai apprécié le moment.
Jé Meat’Pie, le Frère de Charlotte Morel qui n’a pas besoin d’elle pour exister. »