Article paru dans le magazine 229_Juillet 2023 / Rédigé par Jean-Baptiste WIROTH – PhD, Docteur en Sciences du Sport et Fondateur du réseau de coach WTS (www.wts.fr)
Le corps humain est une merveille de physiologie. Nos capacités physiques et mentales sont le fruit de millions d’années d’adaptations, nous permettant d’évoluer dans (presque) tous les environnements. Nous sommes notamment capables de résister aux grands froids polaires, ou aux chaleurs extrêmes des déserts. Cette capacité repose sur le maintien de notre homéostasie thermique : le corps humain doit impérativement rester à une température centrale comprise entre 36,5 et 37,5°C pour fonctionner de manière optimale. Un peu en dessous ou au-dessus, et nous perdons certaines de nos capacités. Si notre température corporelle s’écarte un peu plus de la norme, alors c’est la mort assurée. Rester proche des 37°C est essentiel et vital… Y compris pour des athlètes en plein effort lors d’un triathlon estival.
En effet, il n’est pas rare que les conditions météorologiques rencontrées à l’entraînement ou en course soient chaudes, voire caniculaires, en plein été. Avec les perspectives du réchauffement du climat, ce type de conditions sera probablement encore plus fréquent. En course, ces conditions de forte chaleur rendent le défi de performer, ou tout simplement de terminer, encore plus complexe.
Voyons pourquoi et comment les athlètes peuvent anticiper ce type de conditions et s’adapter en conséquence ?
Qu’est ce que l’hyperthermie d’effort (HE) ?
L’HE, ou coup de chaleur d’exercice, correspond à un déséquilibre entre la production de chaleur par le corps et sa dissipation par sudation ou par convection.
C’est un phénomène assez courant qui touche les travailleurs, les militaires et les athlètes. L’HE est à distinguer de la fièvre, qui est une élévation pathologique de la température corporelle en réaction à un inflammatoire.
Dans les cas les plus graves, l’HE peut conduire à des séquelles définitives du système nerveux ou même à la mort. On parle alors d’hyperthermie “maligne” d’effort, car ce syndrome est assez difficile à diagnostiquer.
L’hyperthermie maligne d’effort correspond à une élévation de la température corporelle au-delà de 40°C, à l’effort. Donc, lorsqu’un athlète présente des troubles cognitifs ou du comportement (voile blanc, vertiges, apathie, nervosité, ataxie…), et que sa température corporelle est supérieure à 40.5°C, alors on parle d’hyperthermie maligne de l’effort. Ce syndrome est mortel s’il n’est pas traité dans les 30 minutes.
NB : La seule manière objective de mesurer l’hyperthermie est de mesurer la température centrale avec un une sonde oesophagienne ou rectale. En effet, lors d’un effort, la mesure de la température cutanée avec un pistolet thermique ou une une montre connectée n’est pas suffisamment précise et fiable pour caractériser une hyperthermie.
Quels sont les risques d’HE pour les triathlètes ?
Le triathlon est un sport très exigeant, en particulier en cas de conditions de forte chaleur comme on peut en rencontrer lors des épreuves estivales, ou lors d’épreuves exotiques comme certains Ironman (Brésil, Australie, Hawaii…).
Même si les triathlètes sont directement exposés au risque d’hyperthermie, notamment en natation et en course à pied, les cas d’HE maligne sont assez rares. En effet, les règles sont strictes quant au port de la combinaison en natation, et la dissipation de la chaleur se fait plutôt très bien en vélo. Reste la partie course à pied où il convient d’être prudent en portant une tenue adaptée et en se rafraîchissant dès que possible.
Chaleur et baisse des performances
La chaleur ambiante est source de contre-performance pour de nombreux triathlètes car elle contribue à la perturbation de la thermorégulation et à l’apparition précoce du phénomène de fatigue. Ce phénomène est particulièrement flagrant lors des épreuves de triathlon longue distance.
La clé de la réussite réside donc dans la capacité à poursuivre un effort soutenu et régulier tout au long de l’épreuve, et en particulier au cours de la phase de course à pied. La nutrition étant un coeur de cette problématique de la performance, nous allons examiner comment repousser ses limites tout en préservant sa santé.
Chaleur et fatigue
Lorsque effort physique et chaleur sont associés, les athlètes sont confrontés à plusieurs phénomènes potentiellement concomitants qui sont généralement d’autant plus prononcés que la chaleur est importante. Il s’agit principalement de l’hyperthermie et de la déshydratation, et dans un second temps, des troubles digestifs.
Lors d’un effort physique, l’hyperthermie, voire l’insolation ou plus grave le coup de chaleur, survient lorsque les mécanismes de thermorégulation sont dépassés et que la thermogenèse est supérieure à la thermolyse. L’hyperthermie est donc un problème crucial pour les triathlètes car probablement à l’origine de la fatigue centrale.
En natation et en vélo, l’hyperthermie est rare car le flux d’eau et d’air permet généralement d’évacuer la chaleur par convection. En course à pied, la vitesse de déplacement étant beaucoup plus faible, l’évacuation de la chaleur se complique notablement. Une étude récente montre que la performance est amoindrie en cas de forte température avec un travail mécanique plus élevé à 21°C comparativement à 40°C (Ely et al., 2010).
Chaleur et déshydratation
La déshydratation est un phénomène consécutif à la sudation qui est associée à l’effort. Bien que la sudation soit sous le contrôle de mécanismes complexes et automatisés, le débit de sueur est essentiellement fonction du gabarit de l’athlète (plus on est “charpenté”, plus on transpire), de l’intensité de l’effort, des conditions météorologiques d’une part, et de l’état d’hydratation d’autre part.
La déshydratation se traduit rapidement par une baisse du volume plasmatique qui occasionne un surcroît de travail cardiaque pour maintenir un débit sanguin optimal.
De récentes études montrent que la réalisation d’une hypohydratation couplée à un stress thermique induit une dégradation de la performance de 1,6% par degré d’élévation de la température cutanée : moins on boit et plus la température corporelle monte, et moins on est performant (Kenefick et al. 2010).
Cette même étude montre que la contrainte cardio vasculaire induite par un débit sanguin cutané élevé, combinée à une réduction du volume plasmatique, est un facteur important de la diminution de la performance.
« L’équation est simple : hyperthermie -> difficultés à s’alimenter -> déshydratation + hypoglycémie + troubles digestifs + crampes + baisse de moral = abandon. »
En pratique
Repousser l’apparition de la fatigue, qu’elle soit centrale (système nerveux) ou périphérique (muscle), est donc la pierre angulaire de la réussite en triathlon, en particulier lorsque la température et l’hygrométrie sont élevées.
Du fait de l’enchaînement des 3 disciplines, les triathlètes sont confrontés à une problématique particulière en ce qui concerne la prévention de l’hyperthermie et de la déshydratation.
Voici quelques conseils pratiques pour performer en ambiance chaude :
- Essayer de s’acclimater en amont de l’épreuve soit en s’entraînant chez soi en conditions spécifiques (en milieu de journée), soit en arrivant plus tôt sur le lieu de la course. Il faut compter 10 à 15 jours pour être bien acclimaté à des conditions chaudes.
- Porter une tenue vestimentaire adaptée : casquette, vêtements clairs et couvrants, lunettes de soleil. Les lunettes sont un moyen efficace pour diminuer la perception et les effets de la réverbération du rayonnement lumineux sur le système nerveux
- Se sur-hydrater (2 litres par jour) les jours précédents l’épreuve pour constituer des stocks hydriques
- Faire un réveil musculaire le matin de l’épreuve (4h avant) pour préparer l’organisme à opérer une thermolyse efficace, notamment par la stimulation des protéines de choc thermique (Heat Shock Proteins)
- Planifier avec soin les apports en boisson pendant la course : une fois la compétition entamée, dès la première transition puis pendant toute la partie cycliste, il faut songer à s’hydrater régulièrement avec une boisson énergétique à raison de 500 à 750 ml par heure d’effort. Il n’est pas nécessaire de boire plus. En course à pied, il vaut mieux boire très régulièrement de petites quantités afin d’éviter un blocage gastrique. L’idéal est de boire une boisson énergétique un peu moins concentrée que celle consommée durant la partie cycliste. Une alternative consiste à absorber 1 gel de 20 g toutes les ½ heures avec un verre d’eau
- Augmenter les apports en sodium en ajoutant 1 pincée de sel par bidon
- Consommer des compléments enrichis en caféine pour stimuler la synthèse des “protéines de choc thermique” (Whiteman M et al., 2006)
- Refroidir les muscles actifs en s’aspergeant d’eau froide, en particulier en vélo dans les ascensions et en course à pied où la vitesse de déplacement est plus faible. Les cuisses, la nuque, le crêne sont les zones qui doivent être privilégiées
Que faire en cas de forte sensibilité à la chaleur ?
Certains athlètes sont particulièrement sensibles à la chaleur. Pour eux, terminer un triathlon estival peut être un véritable challenge ! En effet, la “surchauffe”, même si elle est difficile à avérer, est souvent le début de la fin car elle s’accompagne d’une litanie de problèmes consécutifs. Dans ce cas précis, l’équation est simple : hyperthermie -> difficultés à s’alimenter -> déshydratation + hypoglycémie + troubles digestifs + crampes + baisse de moral = abandon.
Comment éviter cela ?
1- S’acclimater ! Si vous prévoyez de faire une course en ambiance chaude et que vous craignez ces conditions, alors il faut prendre le temps de faire une vrai acclimatation à la chaleur pendant 10 à 15 jours. En pratique, c’est assez simple, il suffit de s’exposer à des conditions chaudes 1 à 2 heures par jour en amont de la course. Cela peut se faire en allant courir en pleine chaleur, en roulant sur vélo d’intérieur, dans une pièce chauffée, en faisant du sauna… Les moyens ne manquent pas. En termes d’organisation temporelle, peu importe, vous pouvez faire votre acclimatation avant de vous rendre sur la course, vous pouvez arriver 10 jours plus tôt, ou faire un mix des deux.
2- Se refroidir ! Une fois en course, il convient de se “refroidir” dès l’apparition des premiers symptômes (frissons, voile blanc, baisse de régime… etc). Rien de tel qu’un bain d’eau froide dans une fontaine, un ruisseau… À défaut, aspergez vous la tête, la nuque, et les cuisses avec une eau très froide. Vous pouvez aussi placer un petit filet rempli de glaçons entre votre trifonction et vos omoplates. Une chose est sûre : plus vous agissez rapidement, moins vous subirez le coup de chaleur et ses conséquences.
Conclusion
Les problématiques d’hyperthermie sont globalement sous-estimées par nombre de sportifs, de coachs, ou même d’organisateurs de course. L’élévation inexorable de la température environnementale va probablement contribuer à faire évoluer les mentalités et la prise de conscience. Il va falloir s’adapter. Pour les athlètes, l’hyperthermie n’est pas forcément le début de la fin pour qui a su anticiper le problème et ses conséquences…
Références
1- Aerobic performance is degraded, despite modest hyperthermia, in hot environments.
Ely BR, Cheuvront SN, Kenefick RW, Sawka MN.
Med Sci Sports Exerc. 2010 Jan;42(1):135-41
2- Novel Pre-Cooling Strategy Enhances Time Trial Cycling In the Heat.
Ross ML, Garvican LA, Jeacocke NA, Laursen PB, Abbiss CR, Martin DT, Burke LM.
Med Sci Sports Exerc. 2010 May 27
3- Skin Temperature Modifes the Impact of Hypohydration on Aerobic Performance.
Kenefick RW, Cheuvront SN, Palombo LJ, Ely BR, Sawka MN.
J Appl Physiol. 2010 Apr 8
4- Exertion heat stroke in sport and the military: epidemiology and mitigation.
Périard JD, DeGroot D, Jay O.
Exp Physiol. 2022 Oct;107(10):1111-1121