Article paru dans le magazine 223 _Décembre 2022 – janvier 2023 / Rédigé par Jean-Baptiste WIROTH – PhD, Docteur en Sciences du Sport et Fondateur du réseau de coach WTS (www.wts.fr)
La dépression est un trouble de la santé mentale qui peut toucher tout le monde, indépendamment de l’âge, du sexe ou de la profession. Malgré cela, la dépression reste un sujet tabou, en particulier dans le monde du sport… Bien que de nombreux athlètes soient touchés. La réalité est que les athlètes sont tout aussi susceptibles que quiconque de souffrir de troubles mentaux. Certaines études montrent même que les athlètes présentent un risque de dépression plus élevé que la population générale. Les raisons de ce phénomène sont complexes et variées, mais elles peuvent inclure la pression de la performance, la peur de l’échec et la nature compétitive du sport, le surentraînement…
Dans cet article, nous allons explorer la question de la dépression chez les athlètes, et les moyens de prévenir sa survenue.
Qu’est ce que la dépression ?
La dépression (ou trouble dépressif) est une maladie psychique fréquente qui par les troubles de l’humeur qu’elle engendre, perturbe fortement la vie quotidienne. De nombreux facteurs psychologiques, biologiques et environnementaux sont en cause dans la survenue d’une dépression.
Symptomatiquement parlant, la dépression se caractérise notamment par une grande tristesse, un sentiment de désespoir ou d’impuissance, une perte de motivation, une diminution des facultés de prise de décision, une diminution du sentiment de plaisir, des troubles de l’alimentation et du sommeil, des pensées morbides et l’impression de ne pas avoir de valeur en tant qu’individu.
La dépression est une maladie courante dans le monde. On estime que 3,8 % de la population est touchée, dont 5 % d’adultes et 5,7 % de personnes âgées de plus de 60 ans. À l’échelle mondiale, environ 280 millions de personnes souffrent de dépression. Lorsqu’elle est récurrente et d’intensité modérée ou sévère, la dépression peut devenir une maladie grave. Elle peut entraîner une grande souffrance et altérer la vie professionnelle, scolaire et familiale de la personne touchée. Dans le pire des cas, la dépression peut conduire au suicide. Plus de 700 000 personnes meurent par suicide chaque année dans le monde. Et le suicide, étape ultime du processus de dépression, est la 4e cause de décès chez les 15-29 ans.
Spécificité de la dépression chez les sportifs ?
La prévalence de la dépression chez les sportifs varie considérablement en fonction du sport, du sexe et du niveau d’entraînement et de pratique. Cependant, comme le souligne le Professeur John Onate de l’Université de Californie : « La prévalence annuelle est similaire ou même supérieure chez les athlètes, comparativement à la population générale. Elle est souvent insidieuse et méconnue. La stigmatisation et l’incompréhension de ce trouble continuent d’être un obstacle à l’obtention d’un diagnostic précis et d’un traitement efficace. Il est important que les personnes souffrant de dépression obtiennent une aide professionnelle, car la condition elle-même peut être invalidante, augmenter le risque de suicide et réduire la qualité de vie. Il existe des preuves que le risque de dépression et de suicide est plus élevé chez les athlètes d’endurance tels que l’athlétisme, le marathonien et l’ultramarathonien ».
Les triathlètes ne sont pas plus à risque que les autres athlètes, mais il est vrai qu’un état dépressif peut intervenir après la réalisation d’un objectif longue distance type Ironman. Ainsi, il n’est pas rare de constater que nombre d’athlètes ont des difficultés d’ordre psychologique après un longue distance.
La triathlète sud-africaine Rogeema Kenny décrit sur son blog ce qui lui est arrivé dans les mois suivant l’Ironman d’Afrique du Sud : « Ce qui peut arriver à un athlète dans les semaines qui suivent (et certainement ce qui m’est arrivé), c’est qu’une vague de tristesse quasi permanente s’abat sur vous. Et le pire, c’est quand vous ne savez pas ce qui vous arrive. Vous êtes confus, fragile et surtout au bord d’une sorte de dépression émotionnelle. Vous ne savez pas pourquoi vous vous sentez soudainement comme ça. Je veux dire, vous n’avez aucune raison d’être déprimé. Vous venez de terminer avec succès un objectif de vie majeur, et la vie est apparemment belle de l’extérieur. Vous avez tellement de raisons d’être reconnaissant et heureux. Vous devriez être au sommet du monde ! De plus, vous n’avez plus ces alarmes quotidiennes ennuyeuses pour aller à l’entraînement. Pourquoi alors, n’êtes-vous pas heureux ? ». Regeema Kenny décrit parfaitement cet état de Post Race Depression (et ses conséquences) sur son blog : https://www.rogeemakenny.com/the-dark-side-of-becoming-an-ironman-mental-health-struggles-part-1/ (en anglais).
« Chez les sportifs, les premiers symptômes de la dépression peuvent s’apparenter aux symptômes du surentraînement, qui se traduit par une baisse des performances tant à l’entraînement qu’en compétition. »
Selon Veronika Forys, chercheuse à l’Université de Cambridge, il semble cependant que les états de dépression chez les athlètes ne sont tout à fait identiques à ceux de la population générale. Dans un article très récent intitulé « le Paradoxe de l’Athlète : la dépression adaptable », elle tente de décrire les mécanismes mis en place par le système nerveux pour faire face au stress chronique que constitue l’entraînement sportif, et ainsi maintenir l’homéostasie.
Les neurotransmetteurs tels que la sérotonine, la dopamine ou l’adrénaline jouent un rôle central dans les mécanismes adaptatifs nerveux et mentaux. Selon elle, les athlètes présentent assez fréquemment des symptômes, souvent légers, de dépression et n’en font pas état à leurs entourages (coach, famille, coéquipier) du fait de la potentielle stigmatisation sociale induite par la dépression.
Savoir détecter les symptômes de la dépression chez les athlètes
Lors d’un épisode dépressif, la personne atteinte de ce trouble présente une humeur morose (sentiment de tristesse, d’irritabilité, de vide) ou une perte de plaisir ou d’intérêt pour les activités, pendant la majeure partie de la journée, presque tous les jours, pendant au moins 2 semaines.
Plusieurs autres symptômes peuvent également être présents : difficulté de concentration, sentiment de culpabilité excessive ou dévalorisation de soi, sentiment de désespoir face à l’avenir, pensées de mort ou de suicide, sommeil perturbé, changements d’appétit ou de poids, et sentiment de grande fatigue ou de manque d’énergie.
Pendant un épisode dépressif, la personne touchée éprouve des difficultés importantes dans son fonctionnement personnel, familial, social, éducatif, professionnel et/ou dans d’autres domaines importants. Un épisode dépressif peut être classé comme léger, modéré ou sévère en fonction du nombre et de la gravité des symptômes, ainsi que de l’impact sur le fonctionnement de l’individu.
Il existe différents schémas pathologiques des troubles de l’humeur :
- Le trouble dépressif à épisode unique : la personne vit son premier et seul épisode
- Le trouble dépressif récurrent : la personne a déjà vécu au moins 2 épisodes dépressifs
- Le trouble bipolaire : alternance d’épisodes dépressifs et de périodes de symptômes maniaques, qui comprennent l’euphorie ou l’irritabilité, une activité ou une énergie accrue, et d’autres symptômes comme une loquacité accrue, des pensées rapides, une plus grande estime de soi, un moindre besoin de sommeil, une distractibilité et un comportement impulsif et téméraire.
Chez les sportifs, les premiers symptômes de la dépression peuvent s’apparenter aux symptômes du surentraînement : perte de motivation, grande fatigue, perte de libido, fréquence cardiaque de repos anormalement élevée, fréquence cardiaque d’effort anormalement haute… Cela se traduit par une baisse des performances tant à l’entraînement qu’en compétition.
« Bien que chaque situation soit différente, il est important de se rappeler que la dépression est une maladie traitable. Les athlètes n’ont pas à souffrir en silence sous prétexte qu’ils sont “hommes et femmes de fer” » .
Outre l’auto-analyse et les échanges avec son entourage (coach, conjoint, coéquipier…), il existe des outils qui peuvent aider à déceler les premiers signaux faibles. Parmi eux, j’en retiendrai trois :
– La mesure de la variabilité de la fréquence cardiaque (VFC). Polar, Garmin ou encore certaines applications comme HRV4training, développée par le physiologiste italien Marco Altini, proposent ce type de mesures. Pour synthétiser au maximum, il faut retenir que la baisse chronique de la VFC est un signe d’inadaptation physiologique à l’entraînement et aux différents agents stressants du quotidien. Cela doit inciter à la prudence !
- Le questionnaire Profil of Mood State (POMS) est un outil validé, très utilisé en psychologie sportive pour mesurer les perturbations de l’humeur chez les athlètes. Son passage régulier permet d’évaluer le bien-être psychologique.
- La question « Comment ça va aujourd’hui ? » : cette question ouverte est un outil très simple que j’utilise dans ma pratique quotidienne de coach sportif. Elle permet d’initier un dialogue avec les athlètes, dialogue qui donne parfois des indices sur l’état psychologique d’un athlète.
Comment aider les athlètes souffrant de dépression ?
Bien que chaque situation soit différente, il est important de se rappeler que la dépression est une maladie traitable. Les athlètes n’ont pas à souffrir en silence sous prétexte qu’ils sont “hommes et femmes de fer”.
Plusieurs solutions existent :
1- En s’informant. Il est important de comprendre les signes et les symptômes de la dépression chez les athlètes. Cela vous permettra d’identifier le problème et d’aider les membres de votre équipe à le reconnaître chez eux.
2- En créant un environnement ouvert. Il n’y a aucune honte à admettre que vous êtes aux prises avec un trouble mental. La dépression est une maladie qui peut être traitée, et il n’y a pas à en avoir honte.
3- En ne jugeant pas. Il est important de se rappeler que nous ne connaissons pas les difficultés auxquelles une autre personne est confrontée. Nous ne savons pas ce qu’elle traverse ou ce qu’elle a vécu.
4- En établissant des liens avec d’autres personnes malades. Les athlètes souffrant de dépression se sentent souvent isolés. Ils peuvent avoir l’impression qu’ils ne peuvent pas demander de l’aide. Vous pouvez aider les membres de votre équipe en établissant des liens avec eux et en leur montrant que vous vous souciez d’eux.
5- En se faisant soigner par un médecin. Un médecin du sport dans un premier temps, puis avec l’aide d’un spécialiste dans un second temps.
6- En soignant sa nutrition afin d’optimiser le fonctionnement du type digestif et de la flore intestinale (les fameux 2e et 3e cerveaux). La consommation régulière de sources riches en magnésium, en acides gras essentiels oméga-3 et en acides aminés peut aider en ce sens. Bien entendu, il convient de consulter un nutritionniste spécialiste de cette approche pour optimiser la démarche.
7- En maintenant un activité physique de basse intensité qui va permettre de reculer les fameux neurotransmetteurs, tout en gardant une base de condition physique. Rien ne serait pire que le repos total prolongé selon moi.
Conclusion
La population triathlétique, en particulier adepte de longue distance, est potentiellement autant, voire plus à risque de dépression que la population normale. En effet, entre la charge d’entraînement, le manque de sommeil, une alimentation pas toujours optimale et la gestion complexe de la vie quotidienne (famille, amis, travail…), le risque de surentraînement, de surmenage et in-fine de dépression est assez important !
Sans parler du syndrome de dépression post-course qui peut s’apparenter au baby-blues des femmes ayant accouché. Les athlètes, tout comme leur entourage, doivent donc être particulièrement attentifs aux signes annonciateurs d’état dépressif. Car comme toujours en matière de santé, il est plus efficace de prévenir que de guérir.
Glossaire
Homéostasie : Le mot homéostasie vient des mots grecs homoios, qui signifie « semblable », et stasis, qui veut dire « stabilité ». En physiologie humaine, le corps a besoin de maintenir une bonne homéostasie. En d’autres mots, le corps a besoin de maintenir certains paramètres stables pour fonctionner correctement (température, glycémie…)