Article paru dans le magazine 214 _mars 2022 / Rédigé par Geoffrey Memain
Le swimrun est un sport d’endurance caractérisé par la nage, la course et des transitions qui relient ces deux activités. Le fait d’alterner les sessions de swim et de run de manière répétée constitue la grande spécificité de cette discipline : le multi-enchaînement. À l’inverse de sa discipline cousine l’aquathlon, qui consiste en un seul enchaînement.
L’enchaînement multiple induit de nombreuses modifications physiologiques, biomécaniques ou encore psychologiques au sein de l’organisme. Et comme pour toutes les sollicitations caractéristiques d’un sport, l’athlète doit s’entraîner au plus proche de ces spécificités afin d’optimiser son adaptation. Le concept de multi-enchaînement doit être maîtrisé pour construire un entraînement pertinent et donc profiter au maximum de sa pratique.
L’objectif de cet article est de présenter le concept de multi-enchaînement et transitions en comparaison de l’enchaînement type aquathlon, et de rappeler les et les perturbations physiologiques et mécaniques qui en découlent afin de proposer des pistes de réflexion quant au type d’entraînement à proposer.
Définitions enchaînement, multi-enchaînement et transition
La transition consiste en une action de modification de la locomotion (passage de la position horizontale de la nage vers la verticalité de la course) et d’adaptation du matériel (placement du pull-buoy de son positionnement à l’entrejambe vers l’extérieur de la cuisse) pour permettre la pratique de la discipline suivante.
L’enchaînement est le passage d’une activité (la nage par exemple) à une autre (ici la course) sans temps de récupération réelle. La période de transition est intégrée à l’enchaînement. Il est le penchant scientifique de ce relai entre les deux disciplines et engendre une multitude d’adaptations physiologiques, biomécaniques voire psychologiques. En effet, il s’agit d’un phénomène qui prend place dès le premier passage d’une activité à une autre, et ses impacts durent jusqu’à la fin de l’épreuve.
Lorsque la situation se répète plusieurs fois, on parle de multi-enchaînement. Des phénomènes physiologiques liés à divers paramètres sont induits et vont influencer fortement la poursuite de l’effort, autant d’un point de vue performance que prévention. Avec la multiplication d’enchaînements au sein d’une même discipline, les conséquences de ces adaptations vont être de plus en plus importantes. Toutefois, leurs effets peuvent être limités par un entraînement spécifique et par des stratégies locomotrices au cours de la course. Le sportif peut donc s’accoutumer de ces caractéristiques typiques.
Il existe donc deux types d’enchaînement en swimrun : le passage du swim au run ou du run au swim. Les perturbations sont logiquement différentes en fonction du type d’enchaînement.
Spécificités du swim
La natation en swimrun est une discipline à dominante haut du corps, notamment par l’usage de la combinaison et du pull-buoy (pour le swimrun) permettant une hausse de la flottabilité. La propulsion est donc produite principalement par les membres supérieurs. Energétiquement, les niveaux de fréquence cardiaque et de coût énergétique sont moindres en nage qu’en course. Il s’agit donc pour certains swimrunners d’une période d’effort moins intense permettant de “récupérer” un peu du run précédent.
Spécificités du run
La course à pied est définie par un déplacement continu, créé par l’alternance de deux temps produits consécutivement : l’appui et la phase de suspension. Cette gestuelle est possible grâce à une coordination fine entre la propulsion des membres inférieurs et la participation des membres supérieurs et du tronc. Le déplacement est produit en grande majorité par l’activité des membres inférieurs. Il est donc important de réduire l’effort du bas du corps lors des sessions de swim afin d’utiliser les pleines capacités des muscles des jambes.
Spécificités de la transition
Les multiples transitions liées aux enchaînements induisent une stratégie et une routine d’entraînement afin d’optimiser au mieux cette troisième discipline composant le swimrun et que l’on ne retrouve qu’une seule fois en aquathlon, et cela seulement dans l’ordre nage-course. Encore plus qu’en triathlon, il est possible de gagner ou de perdre une quantité de temps non négligeable, ce qui peut faire la différence notamment pour les moins bons nageurs. La qualité de la transition va dépendre des habitudes de réalisation, du matériel utilisé et d’une synchronisation au sein du binôme.
Une bonne transition consiste à une mise en place efficiente et efficace du matériel adapté en swimrun, alors qu’en aquathlon, elle correspond à une rapidité importante pour enlever sa combinaison (si utilisée) et être de manière précoce à son intensité cible de course avec le moins de perturbations possibles. Avant d’entrer dans l’eau, le bonnet et les lunettes doivent être sur la tête (et sans buée), les plaquettes aux mains et le pull-buoy pivoté entre les jambes au tout dernier moment. En swimrun, l’objectif est de passer de la nage à la course et inversement sans perturber la continuité du déplacement. Il faut être en permanence en mouvement et donc supprimer tout temps d’arrêt.
Enchaînement swim-run et run-swim : impacts sur la performance et la prévention
Les enchaînements sont des phases caractérisées par diverses modifications impactant la physiologie et la biomécanique de l’exercice :
– Respiratoire : à la sortie de la nage, l’accentuation du débit ventilatoire (+13 à 19%, Hausswirth et al. 1996 et Guezennec et al. 1996) est importante et induit une intensification du travail mécanique des muscles respiratoires. Cela implique un surcoût énergétique. Suite à une période de nage, l’aquathlète et le swimrunner vont avoir besoin d’un délai pour que leurs centres de régulation de l’organisme intègrent la modification de la respiration (cadencée par le cycle de bras vers cadencée par le cycle de course).
– Circulatoire : la nage en combinaison, avec pull-buoy et plaquettes, est favorable à une propulsion à dominante haut du corps. Cette dominance, couplée à une vasoconstriction liée à l’eau froide, engendre une réorientation sanguine et une brusque vasodilatation à la sortie de l’eau. L’acidité issue de l’effort des muscles des membres supérieurs va donc bénéficier de ces modifications hémodynamiques pour se propager au reste du corps, impactant alors les membres inférieurs. Un battement de jambes léger et régulier peut être intéressant, à la fois pour faciliter l’enchaînement d’un point de vue circulatoire, mais aussi pour compenser le poids des chaussures lors de la nage. En effet, le passage de la natation à la course à pied et inversement provoque une redistribution des volumes sanguins au sein des muscles, notamment ceux les plus utilisés dans chacune des deux activités, et une régulation des centres nerveux liés à l’équilibre. Ce phénomène va être un peu moins présent en aquathlon.
– Équilibre : l’athlète passe d’une position horizontale avec des rotations de tête à une position verticale avec une fixation plus importante de la position de la tête. Ce remaniement postural induit des déséquilibres transitoires (titubation, chute…).
– Locomotion : la biomécanique de la foulée est remaniée par l’enchaînement. En général, la foulée optimale énergétiquement est choisie librement et de manière individuelle. L’amplitude de la foulée varie selon le niveau de fatigue du sportif. On y observe le passage d’une position horizontale portée avec une prédominance de contractions concentrique et isométrique en swim, à une position verticale en charge caractérisée par des régimes musculaires concentrique et excentrique lors du run, puis un redressement du rachis menant à une possible raideur musculaire des ischios-jambiers et des fessiers. En début d’enchaînement, la longueur de la foulée est plus courte, la fréquence plus élevée, la position de course est avancée avec une flexion de genou plus importante en phase aérienne.
– Énergétique : les niveaux de fréquence cardiaque et de coût énergétique sont moindres en nage qu’en course. Il s’agit donc d’une période d’effort moindre sur cet aspect. La durée d’effort et la déplétion glucidique sont des facteurs primordiaux de l’apparition de la fatigue dans les disciplines de multi-enchaînement comme le swimrun. À l’inverse du triathlon avec la partie vélo, ou de l’aquathlon où l’effort (même en XL) est plus court, il est plus difficile au swimrunner de s’alimenter et de s’hydrater avec les enchaînements nage-course. Il s’agit de l’une des raisons principales de l’apparition rapide de la déplétion glucidique. L’importance des stratégies nutritionnelles et hydriques prennent alors tout leur sens. La déplétion glucidique augmente en situation de stress (eau libre, passage de bouée, vague, courant, enjeu …), ce qui correspond aux conditions réelles du swimrun.
=> Ce sont donc de nombreuses informations qui varient rapidement lors des enchaînements. Cela engendre de légers dysfonctionnements temporaires perturbant les réponses motrices et physiologiques de l’organisme à divers stimuli, le tout accentué par la durée de la période de nage ou de course, son intensité et la température de l’eau et de l’air.
=> Au vu des phénomènes décrits ci-dessus, on peut émettre l’idée que l’enchaînement swim-run est plus complexe et plus entraînable que son cousin run-swim. Les perturbations de l’équilibre, de la circulation sanguine, de la respiration, de la locomotion et le niveau de dépense énergétique (fréquence cardiaque, masse musculaire utilisée) est moindre lors du swim. Les difficultés supérieures du swim par rapport au run sont le froid de l’eau, le stress pouvant être produit par l’eau libre (courant, navigation, vague, large…). Mais ces contraintes seront plutôt des sources de perturbations pour le run suivant.
=> Toutes ces perturbations impactent négativement le coût énergétique, ce qui altère la performance et favorise l’apparition précoce de la fatigue avancée, source de baisse de performance, voire parfois de blessure. L’entraînement spécifique permet à l’organisme de répondre de manière optimisée à ces perturbations à la fois bioénergétique, posturale, physiologique, biomécanique ou encore mentale.
Multi-enchaînement : impacts sur la performance et la prévention
L’enchaînement des activités (swimrun, triathlon, aquathlon, duathlon…) induit une hausse du CE (Coût Energétique) à cause des perturbations biomécaniques de la foulée, de la fatigue musculaire et énergétique, de l’équilibre, de la respiration, de la dynamique des fluides sanguins ou encore de la thermorégulation.
La thermorégulation et la fatigue ont un impact négatif fort sur le CE en SwimRun et plutôt restreint en aquathlon. Plus l’épreuve sera longue et avec une ambiance environnementale difficile pour la régulation de la température corporelle, plus le swimrunner verra son CE se dégrader.
De plus, le débit ventilatoire est perturbé par la thermorégulation et la déshydratation qui altèrent les fonctions respiratoires à cause de la fatigue musculaire ventilatoire. L’équivalent respiratoire (rendement respiratoire pour consommer 1 litre d’oxygène) en O2 (dioxygène) augmente alors, produisant des problèmes d’hypoxie. Ce phénomène est amplifié par le multi-enchaînement et le port de la combinaison qui élève le niveau de résistance au niveau de la cage thoracique lors des mouvements cycliques respiratoires.
Avec la fatigue, le rendement musculaire peut diminuer de 30% engendrant une hausse du CE à cause du rendement des fibres rapides et de son augmentation de la fréquence de signal EMG par rapport aux fibres lentes. En effet, le couplage excitation-contraction des unités motrices lentes est altéré et la quantité d’ATP synthétisée par mol d’O2 consommée est impactée négativement. On observe alors une baisse de la quantité de travail fourni par mol d’ATP et une diminution de l’activité enzymatique liée à la dégradation d’ATP.
Le CE augmente donc avec le multi-enchaînement. Une étude a montré que le CE restait supérieur à sa valeur habituelle pendant deux jours après un duathlon. Ce résultat a été extrapolé pour affirmer que l’effet conjoint de la durée d’exercice et du multi-enchaînement impacte la dépense énergétique (Hausswirth et Léhenaff 2001).
Impact de l’utilisation du matériel sur le multi-enchaînement
Le choix du matériel en swimrun est un facteur déterminant dans cette discipline, en aquathlon bien moins car la combinaison peut être utilisée.
Combinaison : Avec le port d’une combinaison, le nageur est environ 20% plus économe. Ceci est dû à des sensations kinesthésiques, un gainage et une baisse de la surface frontale par compression, limitant alors les vibrations musculaires et les traînées de vague, tout en optimisant la flottabilité. La perte de chaleur est réduite grâce à l’usage de la combinaison limitant alors la dépense énergétique de thermorégulation. Il est indéniable que la liberté de mouvement cyclique des bras, des jambes et de la cage thoracique est réduite avec l’usage de la combinaison. L’impact sur la fatigue (musculaire et énergétique) et le coût énergétique est significatif. Cette utilisation est donc coûteuse d’un point de vue contraintes locomotrices mais très efficace pour la thermorégulation et les résistances à l’avancement du swimrunner.
Chaussures : Le choix d’une chaussure lourde va augmenter les résistances hydrodynamiques en swim et la consommation d’oxygène en run, avec l’élévation du poids aux extrémités corporelles (environ 1% pour 100 g). L’évacuation de l’eau et l’adhérence de la semelle au sol doivent être de bonne qualité pour ne pas provoquer une hausse du CE du déplacement. Plus l’épreuve est longue, plus ces aspects sont importants dans l’apparition de la fatigue.
Plaquettes : Plus les distances de nage et de course sont longues plus le port de plaquettes va influencer la fatigue liée au multi-enchaînement. Lors du swim, l’usage des paddles va accélérer la vitesse de déplacement (lorsque la technique est bonne) mais la fatigue et l’acidité musculaire des membres supérieurs seront alors plus importants. Pendant l’enchaînement à la course, la prise en charge de cette acidité par l’organisme et le poids des paddles au niveau des mains augmente le CE. Il faut donc trouver le juste milieu entre apparition de la fatigue et efficacité propulsive.
=> Il semble donc que plus l’épreuve va être longue et le nombre d’enchaînements élevé, plus Il faut limiter les contraintes liées au matériel pour permettre une propulsion efficiente et une survenue retardée de la fatigue. Le tout en adaptant ces usages aux spécificités du swimrunner, de son environnement, de son partenaire et de l’épreuve.
L’entraînement de l’enchaînement
L’entraînement en enchaînement permet d’obtenir une meilleure posture, des adaptations respiratoires et thermorégulatrices plus rapides, une foulée qui tend à être optimale plus précocement grâce à la régulation de sa fréquence et de son amplitude, ou encore des fréquences ventilatoires et cardiaques réduites. Il s’agit d’habiletés spécifiques possédant un caractère à la fois préventif et performant. Avec un entraînement spécifique, le swimrunner diminue l’impact des perturbations sur leur CE.
Le travail de multi-enchaînement doit être ciblé sur la qualité de technique de course, de posture active, de dynamique du pied “au sol”, de respiration et de thermorégulation, ou encore mentale. Il est nécessaire que le travail d’enchaînement soit réalisé sur les périodes précompétitives à une intensité spécifique à l’épreuve. Plus l’on se rapproche des paramètres de course (climat, distance, nombre de sessions, matériel, partenaire, dénivelé, courant…), plus la séance sera pertinente et efficace. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire son épreuve exacte à l’entraînement, mais habituer son organisme à des demandes similaires (temps d’effort, revêtement, distance, intensité…) sur une partie de la course optimise la qualité de la sollicitation.
Entraînement multi-enchaîné : l’objectif est de se rapprocher au plus près du swimrun en multipliant les sessions de swim et de run en peaufinant la transition sans temps d’arrêt. Il peut s’agir de longer une côte ou un lac en alternant la nage et la course, ou alors de répéter plusieurs fois la même boucle sur un plan d’eau.
L’enchaînement est un concept très développé dans certains sports d’endurance tels que le triathlon, le duathlon, l’aquathlon, le pentathlon moderne ou encore le run and bike. En swimrun, il s’agit de multi-enchaînement ce qui décuple les effets et les impacts physiologiques et biomécaniques de ce phénomène. D’un point de vue scientifique, c’est une notion très intéressante et qui va faire l’objet de nombreuses études futures grâce au développement du swimrun. Ces concepts sont présents, mais avec de moindres conséquences en aquathlon.
À partir des données évoquées tout au long de l’article, le sportif doit réfléchir et adapter son entraînement en fonction des spécificités de l’épreuve qu’il prépare, du matériel qu’il utilise, de ses capacités, de son partenaire et des conditions d’entraînement qu’il possède (infrastructure, plan d’eau-mer, horaires, saison…). Il est impératif d’être au plus proche des sollicitations de compétition lors de l’entraînement, pas toute la saison, mais sur le cycle de travail spécifique pré-compétitif. L’entraînement en swimrun doit contenir un travail d’enchaînement structuré afin d’optimiser l’adaptation de l’organisme à toutes les perturbations décrites ci-dessus.