PAR ROMUALD VINACE PHOTOSDROITS-RÉSERVÉS
Médaillé d’argent des derniers Jeux mondiaux des transplantés, le triathlète niçois âgé de 38 ans, a brillé à Newcastle. En Angleterre, l’essentiel était pourtant ailleurs : montrer aux yeux de tous qu’ensemble, vie et greffe sonnent justes.
Enchaîné à la machine, immobile. Seul l’esprit lui offre un exutoire. Les yeux fermés par la douleur, il tente une évasion. La prison n’a pas de murs, seules suffisent des entraves et pour lui, la cette prison, c’est la vie.
17 ans à peine et déjà le goût de la souffrance, de la suppléance qui coule dans ses veines. ll est alors l’évadé d’Alcatraz, dans la peau de Clint Eastwood, sans le coupe- ongles pour effriter le mur pourri d’humidité. Son arme à lui, la volonté farouche, chevillée au corps. L’envie de s’en sortir, de foutre le camp, au plus vite. Retour à la réalité, Emmanuel Gastaud le sait. La dialyse reste un passage obligé, quatre heures à raison de trois visites par semaine.
Il serre les dents, déjà convaincu que le Mercantour l’attend, lui l’enfant des Alpes Maritimes, le môme de Nice, des grands espaces, toujours en quête de nouveaux horizons. Fuir pour mieux voir le monde d’en haut, différemment. L’adolescent singulier, devenu, priorité nationale, attend sa première greffe, soulagé…forcement. Sans fonction rénale, c’est la mort assurée. 21 ans plus tard, toujours debout dans l’univers des transplantés, le sang neuf.
Une séance de dialyse équivaut à un semi- marathon
« La fatigue s’invitait souvent dans mes journées et quoi de plus normal. Pour les spécialistes, une dialyse s’apparente à un semi-marathon, explique l’intéressé. Au rythme de trois par semaines, le corps, au régime strict, encaisse le choc durement ». Dans sa course éperdue pour la vie, Emmanuel positive et s’appuie sur un entourage omniprésent. Les deux piliers de sa terre. Pas de larme à l’oeil, lui préfère cultiver sa haine du renoncement. Un mot depuis longtemps banni de son vocabulaire. « Dans ce malheur qui touche des milliers de personnes, j’ai aussi mis a profit une culture sportive nourrie dans sur les skis de randonnée. Cette endurance, le physique que j’ai pu façonner au contact des parois rocheuses m’a aussi sauvé la vie ». Féru d’alpinisme et d’escalade, Monsieur Gastaud.
Vous voilà servi ! L’Everest vous attend sur un plateau: surmonter le rejet du greffon. « J’ai une réelle faculté à zapper les choses très difficiles que j’ai traversé. Mais là… C’était très dur. Après ma première greffe de rein, je replongeais dans le grand bain, pour quatre ans cette fois. J’avais alors 31 ans ». Pleine force de l’âge. L’âge de la maturité, du choix. « Il s’est fait avec le temps, le plus naturellement qu’il soit. Il s’est presque imposé de lui même, explique Emmanuel Gastaud. Nice est le spot parfait des triathlètes.
Des runners, des cyclistes, des nageurs, il en pleut dans tous les azimuts. Je les révérais. Ils s’apparentaient pour moi à de véritables super- héros dans un monde où je n’imaginais pas une seule seconde avoir ma place. Je courrais pour garder la forme mais des douleurs au genou m’ont guidé vers le vélo. Il était évident que la natation viendrait à moi. Le triathlon m’a infecté. J’ai bien contracté le virus, il y a trois ans, sur un format XS. Cette discipline est ludique et j’adore les transitions, leur approcha technique, la gestion de l’effort et l’enchaînement des sports. J’aime le vélo, la course et la natation, c’est tout simple ». Aujourd’hui licencié à Cagnes/Mer, Emmanuel savoure chaque seconde. « On ne se tire pas la bourre, non, non. On s’encourage et moi, je laisse mes soucis de santé au vestiaire. D’ailleurs, à mon arrivée au club, personne n’avait connaissance de mon passé de greffé. Certains n’ont été informé que très tard, question d’affinités ».
Comme un second souffle, il a, sans doute inconsciemment abattu bien des barrières. « Je refuse catégoriquement de tirer la couverture à moi. Parler de ma greffe à travers le sport qui reste un fabuleux vecteur de communication est une opportunité. « Le don d’organes, moi j’en parle ! ». C’est aussi le slogan du groupement que nous avons monté dans le cadre des « Relais de l’espoir, qui rassemble des sportifs, des malades transplantés et leurs proches à l’occasion des Trigames. En trio, ils représentent la chaîne de la greffe ». Faire du sport, c’est affronter la maladie. Comme pour mieux la dominer. En apparence… Pas de record en vue. Âme déraisonnable s’abstenir. Des rêves ?
A la pelle !
« Je viens d’en réaliser un il y a quelques semaines : ramener de Newcastle l’argent des Jeux mondiaux des transplantés. Et avant le résultat, avant la possible victoire, la gratifiante médaille, ma priorité restait de montrer aux yeux de tous que la transplantation offre une seconde vie aux patients. Il nous faut prendre conscience d’une réalité terrifiante, la regarder bien en face : chaque année, des hommes meurent faute de greffons disponibles ».
Chienne de vie, parfois. 60 nations, 1 500 athlètes dont 50 triathlètes et… Emmanuel Gastaud, qui lance un cri du coeur, franc, sans concessions : « Je ne suis pas le seul sportif à défendre la cause. Néanmoins, par le biais de mon association « Montagnes d’espoir » , je veux aussi alerter sur les prises de risques inconsidérées de certains athlètes transplantés qui jouent avec leur vie. Notre état de santé ne se conjugue pas avec records. Jamais.
« Or, beaucoup vont au-delà de leurs limites et perdent des années de greffe en toute conscience. Le prix de l’or ou podium est alors bien cher payé. C’est une mise en danger incroyable, une erreur impardonnable à la lumière du cadeau reçu. La greffe est un cadeau à chérir, à préserver. En ce sens, le sport du transplanté, c’est avant tout la gestion de l’effort et la passion. Pour nous, le dépassement de soi est le pain quotidien », lance Emmanuel, qui s’était entraîné cet hiver avec la championne de France, Céline Bousrez. «Newcastle était aussi le rendez-vous du partage, des émotions simples, des prises de contact, du tutoiement dans toutes les langues… »
La souffrance, la fureur de vivre ne parlent-elles pas un seul et même langage. Universelles…
Après le Mont-Blanc en ski de randonnée avec un copain, l’Ironman 70.3 de Nice l’an dernier, le NatureMan, le coup d’éclat bleu, blanc, rouge, se nomme Emmanuel Gastaud !
Renseignements :
www.montagnes-despoir.com